Devenus simples témoins dans l'oeuvre de Jamal Lansari, "les oiseaux de la liberté" se posent à présent sur le fil de l'existence, là, sagement, sans faire de
bruit. Ils observent non plus notre civilisation moderne et ses avatars mais se penchent sur les fondements instinctifs de l'Homme, la force de son esprit et de son âme, son appétit moteur à
s'adapter au milieu tout en s'adaptant le milieu, là où coexistent la résilience humaine avec le souffle universel d'une Nature aux lois insensibles et imperturbables, que seuls l'apprivoisement
et la patience peuvent amadouer. Là, sur ce territoire nomade silencieux séparant les cieux de la terre par un horizon illusoire, bordé de frontières invisibles à l'oeil nu, constellé de miroirs
distillés en poussières d'astres et de roches imperturbables, règnent "les âmes errantes", dernières compositions de Jamal Lansari.
Le
plasticien oriente ainsi ses nouvelles recherches plastiques vers la contrée orientale du Tchad. Son voyage le transporte alors à travers l'immensité désertique de feu et de pierres sculptées par
les rouages du Temps. Il va se fondre au décor du plateau de l'Ennedi et composer des oeuvres accordées aux gémissements des vents nocturnes, galvanisées par les méandres des dunes et des mirages
que réveille dès l'aube le soleil ardent, articulées par les humeurs d'un sol mouvant aux couleurs des premières ethnies. A présent, les ocres et les
rouges argileux prédominent et se déclinent sur le support de l'oeuvre, telle l'aurore d'un monde en devenir qui attend l'heure de la prière pour s'incarner. Le caractère sacré de l'esprit du
Monde – ou "spiritus mundi"- est le point d'ancrage de ce travail pictural, et son impulsion. Sa symbolique est une incantation aux "âmes errantes" apparaissant parfois, telles de fugaces
silhouettes évanescentes, au milieu de nulle part, se dirigeant d'un pas altier vers une destination inconnue, puis, s'effaçant en laissant derrière elles une impression parfumée de mystère au
choeur de cet univers atemporel, façonné de pigments brupts et de reliefs labyrinthiques.
La Nature enveloppe ces corps errants dans une étreinte
fusionnelle, laissant planer l'esprit au dessus, voire au delà, de la matière du monde tangible, comme une méditation profonde résonant avec la vacuité de l'ether, face à l'immensité d'un désert
où le sable et la pierre s'entremêlent dans le murmure des légendes sahariennes.
Jamal
Lansari rapporte aujourd'hui un morceau de cette terre aux rayonnements solaires sacrés, tapissée de roches archaïques modelées par le Temps et les forces élémentaires; s'imposant, telles des
cariatides protectrices, au milieu d'un océan de sable aux vagues inconstantes. Les "âmes errantes" quittent alors leur nomadisme pour exister sur la toile imprégnée de ce voyage intérieur, comme
un sutra coranique qui ne se récite pas mais se contemple et s'exprime par les tonalités, les vallons et reliefs informels que l'artiste fait jaillir, telle une présence divine, de ses brosses et
de ses pinceaux. Le geste semble parfois hasardeux, jeté en volutes, en arabesques, et en spirales qui courbent le tracé comme s'il courbait le Temps lui-même, le figeant dans un espace éternel
absolu...juste pour un Instant..
Jamal Lansari révèle dans cette dernière série la voie
authentique du "spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier", comme aimait à l'exprimer Wassily Kandinsky; et cette voie est un chant sacré du désert, accordé aux battements de coeur
de l'Univers...
Virginie Gauthier, 2018