JAMAL LANSARI – Peintre Plasticien – Indre et Loire
Les peintures de Jamal Lansari : un art de la délocalisation.
Les grandes toiles ocrées de Jamal Lansari fragilisent les certitudes de notre perception spatiale. Elles sont un art de la délocalisation. Cela n'implique pas nécessairement l'abandon de toute métaphore du lieu: ce dernier pourrait être le désert. Au sens large. Paysages de la déperdition du sens, ou de la condensation de tous nos sens pour surmonter l'évanouissement de notre orientation, les toiles n'ont de repères que pour mieux brouiller les pistes.
Le signe résiste encore, pour mesurer l'étendue, à perte de vue, au-delà des limites matérielles de la peinture; à peine énoncé toutefois, il se désagrège sous les recouvrements de blondeur, de blancheur, il n'est plus que l'indice de directions enfouies, la trace hiéroglyphique illisible, le graffiti isolé. Certains tableaux admettent une grille précaire, telle une échelle (à prendre dans tous les sens du terme) qui ferait encore communiquer le haut et le bas, et d'autres relevés architecturaux subtils. Au regardeur éperdu, ils suggèreraient une vision topographique, mais affrontée à une muralité, une proximité extrême. Affrontée: résolue plutôt, voire sublimée en une intimité; car le conflit de la peinture n'est qu'à l'affleurement de la surface, dans une matière tendue, qui, se livrant à l'indéterminé, en passerait par la peau des choses. Généreuse, mais résistante, elle piège le toucher de tous ses pores, de toute la délicatesse de soulèvements, de transparences inattendues.
La peinture de Jamal LANSARI nous fait perdre tout sens du lieu ; mais c'est qu'elle nous fait tenter, de tout le corps, de saisir l'univers.
The paintings of Jamal Lansari, or the art of displacement.
Jamal Lansari's ochre-hued canvases undermine the certainties of our perception of space. ln this his art cou Id be ca lied an art of displacement. Not that this necessarily implies the abandoning of the metaphor of place ; by place he can sometimes mean the desert. if displacement there be, the word must be taken in its widest sense. place can be landscapes where meaning slowly withers away or where ail ours senses are condensed so that we may overcome the fact that we have lost our way, for the land-marks in the painting are only there to better throw us off the track. The sign still holds fast and measures the vatness of space as far as eye can see beyond the material limits of paint. Yet hardly has the sign been mentioned than it dissolves beneath layers of blondness and whiteness to become nothing more than the key to concealed directions, the illegible hieroglyph, the isolated graffiti. ln some paintings the spectator can find a tenuous grid, like the scale of a map - or a ladder- thet stililinks the top to the bottom, as weil as other subtle architectural references. To the mesmerised viewer, they would seem to suggest a topographical vision, but the vision encounters a walled obstacle of extreme proximity. Once encountered it is soon overcome, perhaps even sublimated into intimacy. It is only when hand skims over the surface that there is conflict in the painting, for the surface of taut material, yielded up to the indeterminate, seeps into the skin. It is ample but resistant, trapping our sense of touch with ail its pores, with the full delicateness of contours and unexpected transparencies.
lansari's art forces us to set aside ail sense of place. Yet it incites us, body and soul, to reach out and snap up the universe.
SYLVIE COELLIER
Instants d’éternité
Figures de l’invisible
C’est dans la palette que lui offrent les marées du désert que l’artiste, Jamal Lansari, va puiser. Dans ce déluge iridescent qui frémit sous les symphonies éoliennes, là où palpite une vie cristallines, exigeantes et impérieuses.
Non loin de la Guelta d’Archei[1], dans l’orange et le pourpre du jour naissant, le vent arrache aux crêtes des dunes une scintillante traînée poudreuse, mêlée d’ocre et de roux. Le désert vous prend alors dans la magie de son éveil diurne, offrant au marcheur ses géométries élégantes et les multiples traces d’un peuple d’insectes et de reptiles comme un parchemin à jamais renouvelé.
Le désert est un bonheur violent où se croisent l’éphémère et l’éternel, le vibrato intense des couleurs et de la lumière, le chant du monde dans son insaisissable fugue.
Avant de devenir démiurge, architecte du fragile et de l’invisible, l’artiste est à l’écoute du regard, géomancien de l’enfoui et du sacré, interprète de l’infiguré, guetteur d’apparitions.
Il entend les messages du vent qui galope comme un cheval fou entre Tibesti et Ennedi,[2] se penche sur notre présent comme on ausculterait une respiration de l’inquiétude, dévoile des galaxies inconnues, nous fait entrer dans la marée d’un outre-monde.
Les peintures de Jamal Lansari témoignent de ces instants d’éternité. Elles disent le silence et les envoûtantes mélodies des chants des pistes, la relation à l’invisible, la mystique d’une permanence presque indécelablea, dans sa fragilité et sa plénitude. Elles nous invitent à désapprendre le réel, entrer dans la haute mer de l’oubli, loin des échos du connu.
Ce sont des images qui révèlent la présence d’un insaisissable, le témoignage d’une traversée, la captation d’un maintenant mémoriel, l’instant subliminal entre le perceptible et l’obscur, entre l’ordre et le chaos. On y décèle des éclats de bleu, des ombres fugaces, des silhouettes indistinctes, quand l’art pariétal racontait le passage de ceux d’avant les Toubous[3].
Nous ne savons rien de l’apparition quand l’apparition nous éblouit. Pourtant, l’œil ne se perd jamais. Il parcourt la ligne de fuite d’un horizon qui rêve d’échappées célestes dans ce territoire austère des errances.
Il se peut que l’on y perçoive la pulsation du désert, quand le cœur bat la mesure dans cette douceur brûlante des ombres bleues.
C’est alors que se révèle l’oublié de nos mémoires, l’expérience mystique, l’interrogation si fertile que nous offre l’œil du peintre.
Demay
[1] Centre du plateau de l’Ennedi, au Nord-est du Tchad. Elle abrite l’une des dernières colonies de crocodiles du Nil.
[2] Le Tibesti est l’une des 23 régions du Tchad. Région montagneuse aux paysages spectaculaires, le massif offre un paysage exceptionnel. L’Ennedi est une succession de massifs de grès. Il constitue l’une des plus grands collections d’art rupestre. Habité par des chasseurs cueilleurs dès 5000 avant JC.
[3] Les Toubous pratiquent le pastoralisme et le nomadisme dans le Sahara central, du Nord du Tchad au sud de la Lybie et au Nord-est du Niger.