La performance de Jamal LANSARI représente une articulation essentielle de son entrée en peinture.
Elle est véritablement profession de foi, condensation d’une vision de la création artistique avec son résultat tangible.
Inscrite sous le signe du cirque, elle proclame son appartenance, celle de l’artiste, à une double lignée. D’une part le peintre exhibe son portrait en saltimbanque, « interprétation de soi par soi : épiphanie dérisoire de l’art de l’artiste », singeant son rôle d’amuseur philosophique de la société, selon une iconographie contemporaine dont Jean Starobinski a retracé l’histoire. D’autre part, acteur principal de cette mise en spectacle, il réaffirme, ainsi que l’a démontré l’art actuel depuis Pollock et Klein, que l’engagement corporel total est indissociable de tout acte créatif.
Le « jeu ironique » révèle sa gravité dans son organisation sous-jacente en rituel initiatique, qui conduit l’opérant à la parodie meurtrière de ses pères artistiques (que l’on devine tour à tour) et leur dépassement :
« Singe sans queue », serviteur de l’illusion, le peintre ne capte que les projections du réel, l’ombre de ses désirs (intervention 1). Car la peinture ne peut se livrer qu’après son viol, en un combat dans lequel elle est tailladée, maîtrisée, pénétrée, processus par lequel elle révèle ses sources, sa carnalité (« flesh was the reason why oil-painting was invented »-De KOONING), et sa victoire provisoire : l’artiste s’y emprisonne (interventions 2,3,4). Le peintre la parcourt alors tout entière ; elle est le chant infini de la nature et de l’expérience (intervention 5).
Ayant « connu » (dans le sens biblique du terme) la matière picturale par assimilation simiesque de ses pères, le créateur est enfin prêt à naître (intervention 6). Sa mise au monde s’opère à travers une ultime condition, l’épreuve du feu, le dépassement du miroir (cache d’aluminium), qui le fait accéder à la totalité cosmique. Il est voyant (intervention 7). Il se donne alors de tout son corps à la peinture, métaphorisée ici par sa terre d’origine, démontrant ainsi que l’engagement pictural est un pacte qui lie de la naissance à la mort (intervention 8).
Le parcours symbolique de la vie du peintre appelle l’expérience cénesthésique, cela met à jour l’œuvre qui perdure au corps comme produit d’un champ cognitif global qui pour être significatif, doit être le plus étendu possible dans l’espace (d’un pôle à l’autre et au-delà), et dans le temps (de l’histoire la plus ancienne – l’Egypte, à la mort prévue du peintre). Ce parcours est libératoire, ce que révèle au mieux l’image de la chrysalide. Ce sont les tabous et interdits que dans son rapt de la peinture, l’artiste déchire en un rapport dont il doit sortir vainqueur.
Jamal LANSARI met ainsi en jeu, sous couvert parodique, une prise de liberté : performance qui doit se révéler, pour le spectateur, une catharsis…..
Sylvie COELLIER
Historienne d’Art
Performances avec Ben Vauthier au centre d'art contemporain de la ville de Tours 1987
Performance Fluxus avec Ben Vauthier au Centre d'art contemporain de la ville de Tours 1986
Instants d’éternité
Figures de l’invisible
C’est dans la palette que lui offrent les marées du désert que l’artiste, Jamal Lansari, va puiser. Dans ce déluge iridescent qui frémit sous les symphonies éoliennes, là où palpite une vie cristallines, exigeantes et impérieuses.
Non loin de la Guelta d’Archei[1], dans l’orange et le pourpre du jour naissant, le vent arrache aux crêtes des dunes une scintillante traînée poudreuse, mêlée d’ocre et de roux. Le désert vous prend alors dans la magie de son éveil diurne, offrant au marcheur ses géométries élégantes et les multiples traces d’un peuple d’insectes et de reptiles comme un parchemin à jamais renouvelé.
Le désert est un bonheur violent où se croisent l’éphémère et l’éternel, le vibrato intense des couleurs et de la lumière, le chant du monde dans son insaisissable fugue.
Avant de devenir démiurge, architecte du fragile et de l’invisible, l’artiste est à l’écoute du regard, géomancien de l’enfoui et du sacré, interprète de l’infiguré, guetteur d’apparitions.
Il entend les messages du vent qui galope comme un cheval fou entre Tibesti et Ennedi,[2] se penche sur notre présent comme on ausculterait une respiration de l’inquiétude, dévoile des galaxies inconnues, nous fait entrer dans la marée d’un outre-monde.
Les peintures de Jamal Lansari témoignent de ces instants d’éternité. Elles disent le silence et les envoûtantes mélodies des chants des pistes, la relation à l’invisible, la mystique d’une permanence presque indécelablea, dans sa fragilité et sa plénitude. Elles nous invitent à désapprendre le réel, entrer dans la haute mer de l’oubli, loin des échos du connu.
Ce sont des images qui révèlent la présence d’un insaisissable, le témoignage d’une traversée, la captation d’un maintenant mémoriel, l’instant subliminal entre le perceptible et l’obscur, entre l’ordre et le chaos. On y décèle des éclats de bleu, des ombres fugaces, des silhouettes indistinctes, quand l’art pariétal racontait le passage de ceux d’avant les Toubous[3].
Nous ne savons rien de l’apparition quand l’apparition nous éblouit. Pourtant, l’œil ne se perd jamais. Il parcourt la ligne de fuite d’un horizon qui rêve d’échappées célestes dans ce territoire austère des errances.
Il se peut que l’on y perçoive la pulsation du désert, quand le cœur bat la mesure dans cette douceur brûlante des ombres bleues.
C’est alors que se révèle l’oublié de nos mémoires, l’expérience mystique, l’interrogation si fertile que nous offre l’œil du peintre.
Demay
[1] Centre du plateau de l’Ennedi, au Nord-est du Tchad. Elle abrite l’une des dernières colonies de crocodiles du Nil.
[2] Le Tibesti est l’une des 23 régions du Tchad. Région montagneuse aux paysages spectaculaires, le massif offre un paysage exceptionnel. L’Ennedi est une succession de massifs de grès. Il constitue l’une des plus grands collections d’art rupestre. Habité par des chasseurs cueilleurs dès 5000 avant JC.
[3] Les Toubous pratiquent le pastoralisme et le nomadisme dans le Sahara central, du Nord du Tchad au sud de la Lybie et au Nord-est du Niger.