« Trésors de rien du tout »
Une exposition de Jamal Lansari.
Pour apprendre à lire les signes invisibles.
Jamal Lansari, artiste plasticien avait organisé en 1993 une énorme exposition « l’homme assis sur sa chaise » dans les locaux d’une usine délocalisée, désaffectée, Baxter. 197 œuvres réalisées dont chacune représentait à une échelle réduite chaque pays du monde. Un travail de titan resté dans les mémoires et dont chaque œuvre avait en commun un fond sableux, plutôt gris qui symbolisait l’avancée inéluctable du désert, représentation muette d’un siècle finissant sans réelles perspectives autre qu’une destruction rampante de la planète.
Douze ans plus tard l’artiste a repris sa parka de peintre pour composer une nouvelle exposition: « Trésors de rien du tout. » Deux termes antinomiques. Mais la notion de trésor n’est pas la mieux partagée. Il y a des trésors communs à tous, faits d’argent, de brillant et de pierreries. Mais qui ne valent plus rien à l’heure du dernier adieu. Ils ne sont plus que des riens du tout devant le grand mystère de la mort. Il faudra laisser ses métaux avant d’entreprendre l’ultime voyage. Et puis il y a les trésors que l’on se crée grâce à cette force mentale qui nous permet d’élever au rang de sacré, des lieux, des gens…La vache devient sacrée, la musique devient sacrée, l’art devient sacré. C’est en se mettant en contact avec le divin que l’homme constitue et fabrique ses propres trésors. C’est Maria Zambano qui met un marron nouveau « tout lisse, tout rond, tout beau » dans sa poche et le fait rouler dans sa main : »je tiens une planète, un tout, l’un. » En fait, un rien du tout dont elle a fait un trésor.
C’est le pouvoir formidable de l’homme de pouvoir décréter ce qui est trésor ou pas. Et c’est l’absolue liberté de l’artiste créateur de transformer le trésor en rien du tout. On trouvera des traces de billet de banque dans l’œuvre de Jamal. Des allumettes préfigurant le Yi King. « Une allumette ce serait un trésor pour un homme préhistorique » commente le plasticien.
On a changé de siècle et Jamal a repris ses pinceaux poussé par une force irrépressible. C’est une œuvre porteuse d’espoir qui renaît de ses doigts. Finie l’avancée inéluctable du désert. Le sable a pris des couleurs, on y voit germer des fleurs, on y trouve du soleil.
Chaque artiste est quelque part un médium. Jamal Lansari a cette capacité de condenser en image les messages invisibles qui bercent notre inconscient collectif. L’artiste nous suggère l’arrivée du temps de la lumière. « Objets inanimés avez-vous donc une âme ? ». Lamartine avait posé la question, Jamal répond par l’affirmative. Au-dessus d’une maison on voit des gouttelettes s’échapper vers le cosmos. Dans son exposition, tout est ondes, vibration et verticalité. Un langage universel que chacun peut traduire en fonction de son histoire, de sa spiritualité. Ce sont des œuvres à déguster en silence en attendant d’arriver au diapason.
Patrick Le Bars.
Les Maisons d’esprits de Jamal lansari
Des mythes fondateurs aux symboles, du profane au sacré, Jamal Lansari ne cesse dans son travail de d’interroger sur le sens – les sens – qui, quelles que soient les civilisations et les cultures, sont le fil d’Ariane de l’humanité.
La dernière exposition de Jamal Lansari interpellant sur les contre - façons, sur le détournement des objets, ou comment se joue le passage du profane au sacré, du visible à l’invisible. Une interrogation sans frontières, un regard qui engobait l’humanité depuis son origine jusqu’à son possible devenir. Il définit son travail qui conduit à la maison des Esprits comme différent. Et pourtant, à y bien regarder-et bien ressentir –il s’agit bien d’une vraie continuité, une étape de plus dans le parcours d’un homme qui cherche à décrypter le monde et est ces transcendances. Ici encore, il est question de symbolisme, de recherches sur les archétypes sur les mythes fondateurs, porteurs de rêves, inscrits dans l’inconscient de l’homme et qui lui ouvrent les voies de l’imagination et de la connaissance – comment, sans Icare, l’homme aurait-il inventé l’aérospatiale ?
Et pour faire jaillir tout cela, cet ethnologue de l’invisible fait encore appel aux objets, beaucoup… Ces objets chinés, donnés, objets en attente – cailloux, boutons, fils d’or, plumes bijoux, de pacotille, objets observés du coin de l’œil et qui soudain s’imposent sur une toile, à un moment précis, quittant leur enveloppe d’objet inanimé pour devenir porteurs de sens. Ici des barbelés pour rappeler des exactions commises-au Tibet ? – là cette lumière rouge qui clignote au centre rend hommages à la Femme, matrice du monde. Puisée dans toutes les cultures, dans toutes les rites, l’imagination de Jamal Lansari tricote touts le sens – politique, historique, magique – avec un plaisir jubilatoire de faire se côtoyer ce qui pourrait paraître improbable, voire incongru. Il le dit lui-même, ce n’est pas l’homme qui l’intéresse, c’est ce qu’il y a « entre », cet espace impalpable, immatériel, qui est tout sauf vide, mais dans lequel se fraient les chemins du bas vers le haut, du corps vers l’esprit – l’élévation. Cet alchimiste de la matière, qui sait si bien exacerber les ors et les ocres, invite une fois de plus à une lecture symbolique du monde. Ni didactique, ni rébarbative… une lecture qui fouette les yeux, ouvre le cœur, où chacun, selon sa perception du monde, peut mettre un contenu. Contenant-contenu… parce que derrière, il y a toujours quelque chose…
Marie Lansade
Exposition d’art contemporain du 17 février au 24 mars – Péristyle de l’Hôtel de ville à Tours.
Il contrefait, déforme, déraisonne les ustensiles les plus communs, il les expatrie de leur cadre et de leur sens, veut leur donner un élan qui est le sien a rebours de leur identité. Ors et étoiles, pétales et tiges, bambous et tissus, papiers et verres, cailloux et sables, plastiques et bois, il réordonne les matières pour une cosmogénèse sans dieu. Car il y a des limites formelles, carrées ou rondes, des cartographies particulières dans cette géographie commune dont il refuse de s’échapper.
Il superpose, use, gratte, maroufle, ordonne sa palette aux textures nationales, toiles enduites, papiers de riz, il colle, pince, embouti, toutes les techniques du monde, chaudronnier des artefacts.
Il quête les sens et celui de sa vie
La pièce est haute, que veille, à l’extérieur, la déesse de pierre. Une plage de graviers la précède.
Elle est blanche, en attente d’animation et cache, dans ses hauteurs, le passé d’un voyageur assis sur sa chaise. Le buffet y est inutile
Il la remodelée plusieurs fois avant qu’ils soient satisfaits tous les deux. Ils ont trouvé leur échelle commune, celle qui n’écrase personne.
Elle s’offre à ses mains, nue.
Il la pare des couleurs de la terre et des hommes, de faits et gestes, de lueurs éclatantes, des brindilles de la vie, des nids de ses désespoirs.
Il ordonnance le monde.
C’est le nôtre, à peine recomposé, fluide comme le temps, s’échappant des matrices, avec son bric-a-brac de symboles, qu’il perturbe.
Et la pièce s’agite et s’expose. Les murs se vantent et se comparent, comptent et recomptent, formulent des théories, rassemblent les éléments, cherchent une composition.
Le voici, noir ou blanc, d’ici et d’ailleurs, larges mains, épaules fortes, voix de l’aridité, père et fils, mère nourricière, amant. Exposé.
Dominique Decèze
Instants d’éternité
Figures de l’invisible
C’est dans la palette que lui offrent les marées du désert que l’artiste, Jamal Lansari, va puiser. Dans ce déluge iridescent qui frémit sous les symphonies éoliennes, là où palpite une vie cristallines, exigeantes et impérieuses.
Non loin de la Guelta d’Archei[1], dans l’orange et le pourpre du jour naissant, le vent arrache aux crêtes des dunes une scintillante traînée poudreuse, mêlée d’ocre et de roux. Le désert vous prend alors dans la magie de son éveil diurne, offrant au marcheur ses géométries élégantes et les multiples traces d’un peuple d’insectes et de reptiles comme un parchemin à jamais renouvelé.
Le désert est un bonheur violent où se croisent l’éphémère et l’éternel, le vibrato intense des couleurs et de la lumière, le chant du monde dans son insaisissable fugue.
Avant de devenir démiurge, architecte du fragile et de l’invisible, l’artiste est à l’écoute du regard, géomancien de l’enfoui et du sacré, interprète de l’infiguré, guetteur d’apparitions.
Il entend les messages du vent qui galope comme un cheval fou entre Tibesti et Ennedi,[2] se penche sur notre présent comme on ausculterait une respiration de l’inquiétude, dévoile des galaxies inconnues, nous fait entrer dans la marée d’un outre-monde.
Les peintures de Jamal Lansari témoignent de ces instants d’éternité. Elles disent le silence et les envoûtantes mélodies des chants des pistes, la relation à l’invisible, la mystique d’une permanence presque indécelablea, dans sa fragilité et sa plénitude. Elles nous invitent à désapprendre le réel, entrer dans la haute mer de l’oubli, loin des échos du connu.
Ce sont des images qui révèlent la présence d’un insaisissable, le témoignage d’une traversée, la captation d’un maintenant mémoriel, l’instant subliminal entre le perceptible et l’obscur, entre l’ordre et le chaos. On y décèle des éclats de bleu, des ombres fugaces, des silhouettes indistinctes, quand l’art pariétal racontait le passage de ceux d’avant les Toubous[3].
Nous ne savons rien de l’apparition quand l’apparition nous éblouit. Pourtant, l’œil ne se perd jamais. Il parcourt la ligne de fuite d’un horizon qui rêve d’échappées célestes dans ce territoire austère des errances.
Il se peut que l’on y perçoive la pulsation du désert, quand le cœur bat la mesure dans cette douceur brûlante des ombres bleues.
C’est alors que se révèle l’oublié de nos mémoires, l’expérience mystique, l’interrogation si fertile que nous offre l’œil du peintre.
Demay
[1] Centre du plateau de l’Ennedi, au Nord-est du Tchad. Elle abrite l’une des dernières colonies de crocodiles du Nil.
[2] Le Tibesti est l’une des 23 régions du Tchad. Région montagneuse aux paysages spectaculaires, le massif offre un paysage exceptionnel. L’Ennedi est une succession de massifs de grès. Il constitue l’une des plus grands collections d’art rupestre. Habité par des chasseurs cueilleurs dès 5000 avant JC.
[3] Les Toubous pratiquent le pastoralisme et le nomadisme dans le Sahara central, du Nord du Tchad au sud de la Lybie et au Nord-est du Niger.