Acrob'art 1990

La performance de Jamal LANSARI représente une articulation essentielle de son entrée en peinture.


Elle est véritablement profession de foi, condensation d’une vision de la création artistique avec son résultat tangible.


Inscrite sous le signe du cirque, elle proclame son appartenance, celle de l’artiste, à une double lignée. D’une part le peintre exhibe son portrait en saltimbanque, « interprétation de soi par soi : épiphanie dérisoire de l’art de l’artiste », singeant son rôle d’amuseur philosophique de la société, selon une iconographie contemporaine dont Jean Starobinski a retracé l’histoire. D’autre part, acteur principal de cette mise en spectacle, il réaffirme, ainsi que l’a démontré l’art actuel depuis Pollock et Klein, que l’engagement corporel total est indissociable de tout acte créatif.


Le « jeu ironique » révèle sa gravité dans son organisation sous-jacente en rituel initiatique, qui conduit l’opérant à la parodie meurtrière de ses pères artistiques (que l’on devine tour à tour) et leur dépassement :


« Singe sans queue », serviteur de l’illusion, le peintre ne capte que les projections du réel, l’ombre de ses désirs (intervention 1). Car la peinture ne peut se livrer qu’après son viol, en un combat dans lequel elle est tailladée, maîtrisée, pénétrée, processus par lequel elle révèle ses sources, sa carnalité (« flesh was the reason why oil-painting was invented »-De KOONING), et sa victoire provisoire : l’artiste s’y emprisonne (interventions 2,3,4). Le peintre la parcourt alors tout entière ; elle est le chant infini de la nature et de l’expérience (intervention 5).


Ayant « connu » (dans le sens biblique du terme) la matière picturale par assimilation simiesque de ses pères, le créateur est enfin prêt à naître (intervention 6). Sa mise au monde s’opère à travers une ultime condition, l’épreuve du feu, le dépassement du miroir (cache d’aluminium), qui le fait accéder à la totalité cosmique. Il est voyant (intervention 7). Il se donne alors de tout son corps à la peinture, métaphorisée ici par sa terre d’origine, démontrant ainsi que l’engagement pictural est un pacte qui lie de la naissance à la mort (intervention 8).


Le parcours symbolique de la vie du peintre appelle l’expérience cénesthésique, cela met à jour l’œuvre qui perdure au corps comme produit d’un champ cognitif global qui pour être significatif, doit être le plus étendu possible dans l’espace (d’un pôle à l’autre et au-delà), et dans le temps (de l’histoire la plus ancienne – l’Egypte, à la mort prévue du peintre). Ce parcours est libératoire, ce que révèle au mieux l’image de la chrysalide. Ce sont les tabous et interdits que dans son rapt de la peinture, l’artiste déchire en un rapport dont il doit sortir vainqueur.

 

Jamal LANSARI met ainsi en jeu, sous couvert parodique, une prise de liberté : performance qui doit se révéler, pour le spectateur, une catharsis…..


Sylvie COELLIER

Historienne d’Art

 

Performances avec Ben Vauthier au centre d'art contemporain de la ville de Tours 1987

Performance Fluxus avec Ben Vauthier au Centre d'art contemporain de la ville de Tours 1986